Un attelage à quatre s'arrêta dans un grincement métallique devant la lourde grille hérissée de pointes. Basile de Bonnefond, serviteur personnel de Marie-Victoire, passant la tête par la portière s'adressa à la soldatesque de garde ce matin-là :
- Holà mon brave. La bon jour à vous.
Le gradé de service ayant alors reconnu les armes sur la portière et le profil gracieux de la passagère ordonna d'un geste l'ouverture de la lourde herse qui protégeait l'entrée du Château. La chanvrière du cocher claqua dans les airs et l'équipage pénétra dans l'imposant édifice. Après voir remercié l'homme d'un salut de tête, Basile s'était rassis en face de la jeune passagère. Marie, le menton légèrement posé sur ses doigts fins, regardait par la fenêtre un décor qu'elle ne voyait pas. Son bras gauche était maintenu serré contre elle par une écharpe de soie assortie au vert tendre de sa toilette mais, pour une fois, ce n'était pas la santé de la frêle jeune femme qui inquiétait le brave homme...
- Votre Grasce ne devrait pas tant se soucier de ce fâcheux quiproquo... essaya-t-il avec douceur.
Le regard éternellement rêveur de la jeune aveugle se reporta sur lui et sa bouche délicate aux lèvres pâles esquissa un sourire affectueux.
- Hélas, mon ami... J'ai tenté de me persuader que je pouvais être plus qu'une infirme encombrante, plus qu'une pathétique fillette. J'ai tant espérer de ce rôle de conseillère.
Silence ému et pesant assombrit ses yeux d'or.
- Allons votre Grasce, ne désarmez pas ! Il ne peut s'agir que d'un malentendu ! On aura tout simplement omis de vous prévenir... La plupart des membres de ce Conseil sont des habitués, ils auront simplement pensé que, comme eux, vous connaissiez le chemin.
- Certes... tu as sans doute raison. Néanmoins, je ne peux que constater que mon absence lors de ces débats cruciaux n'a alarmé personne. Comment puis-je interprété cela ? Sans compter leur attitude lorsque... Elle frissonna au souvenir de la prise d'otage.
- Il n'y a que deux explication, mon brave Basile : soit il me considèrent comme une gène et préfère m'ignorer, soit il ne me voient tout simplement pas car ils me trouvent insignifiante...
La voiture s'arrêta devant la grande porte du château. Le valet de pied sauta lestement à terre et s'en vint dérouler le marchepied et ouvrir la portière.
- Ils ont peut-être simplement oubliés qu'en un jour lointain, eux-aussi avaient été des novices... hasarda-t-il, apaisant, tendit que la jeune femme descendait de voiture avec grâce et dignité.